Belkheiri Mansour : Gros potentiel des banques islamiques au Maroc
Docteur d’Etat en sciences économiques, spécialiste en matière de la fiscalité internationale, Chef de brigade de contrôle fiscal et professeur universitaire à Casablanca, Mansour Belkheiri nous confie des réflexions sur les banques appelées «participatives» ou islamiques. De son avis, leur introduction marquera certainement le marché marocain.

Les Afriques :Comment va-ton mettre en application les banques Islamiques ?


Mansour Belkheiri : 
A ce jour, il n’existe aucune banque islamique au Maroc. Des signes d’ouverture commencent à voir le jour. Et, probablement, ce genre d’entités va s’y installer en 2013. Il existe déjà un projet de loi qui vise à instaurer un cadre législatif pour la mise en place des banques appelées participatives. Elles vont faire partie intégrante du système bancaire marocain et, seront placées sous la tutelle de Bank Al Maghreb. En attendant, le Maroc accuse un retard énorme en matière de la finance islamique comparativement à d’autres pays comme la Malaisie, l’Indonésie, la Grande-Bretagne, la France, le Luxembourg, etc.

LA : Pourquoi à votre avis les banques islamiques ont tardé à s’installer au Maroc ?
M.B. : 
Tout simplement, il n’y avait pas de volonté politique, ni économique favorables à cette installation. Un désintérêt et une réticence totale vis-à-vis des banques islamiques au Maroc faisaient la règle auparavant. On note également le souci du rétrécissement des parts de marchés et des marges bancaires. Mais, c’est comme dans un match de Football, l’équipe la mieux entraînée et préparée finira par gagner en attirant autant de spectateurs. D’ailleurs, depuis 2007, la banque centrale avait donné son aval à certains établissements de crédits conventionnels pour commercialiser trois produits islamiques pour le financement des opérations (et non pour les dépôts) : Mourabaha, Moucharaka et Ijara. Cette opération s’est presque soldée par un échec flagrant faute principalement de la sensibilisation et de la cherté de ces produits.

LA : Quelle est la valeur ajoutée des banques Islamiques dans l’environnement marocain ?

M.B. : Il est tout à fait légitime de se demander : Quel est l’intérêt de la création des banques islamiques au Maroc alors que le Royaume dispose déjà des banques classiques ? Les banques classiques ont contribué et contribuent toujours au financement de l’économie. Maintenant, il est temps d’avoir un nouveau souffle, c’est une opportunité à saisir pour drainer des capitaux par l’installation des banques islamiques. Cette implantation engendre sûrement un accroissement du taux de bancarisation au Maroc (avoisinant actuellement les 35%) en appréhendant le potentiel d’épargne qui échappe encore au circuit bancaire pour des raisons de convictions religieuses. La concurrence entre les entités bancaires islamiques et classiques implique nécessairement des prestations de meilleures qualités et à prix intéressants. La bancarisation renforce également la transparence, la traçabilité des transactions, ce qui conduit de facto une lutte contre le secteur informel. Le contexte marocain interne et externe marqué notamment par l’alourdissement du déficit budgétaire, la carence de liquidités bancaires et le ralentissement de la croissance de l’Union Européenne, principale partenaire du Maroc (France, Espagne, Italie) constituent un autre motif pour activer la création des banques islamiques au Maroc.

LA : Pensez-vous que les grands investisseurs peuvent tenter l’aventure et créer des établissements bancaires, style banques islamiques ?
M.B. :
 Il convient de rappeler qu’il n’existe aucun texte d’ordre législatif ou réglementaire qui interdise la mise en place des banques islamiques au Maroc. La loi bancaire, la loi sur la SA, le code de commerce et le DOC sont claires à cet égard. Ces textes de lois imposent certaines conditions à remplir sans pour autant interdire la création. Ceci dit pour les banques islamiques, le respect des règles de la Sharia doit être observé, en plus de la législation bancaire en vigueur. Il s’agit notamment de la condamnation des prêts à intérêt, du partage des profits et pertes et de l’interdiction du financement des activités illicites (Haram).

LA : Pourquoi opter pour la finance islamique ?
M.B. :
 La finance islamique s’appuie sur des valeurs morales et éthiques islamiques. Tout financement islamique a l’avantage de s’orienter vers l’investissement productif au lieu de l’être pour la spéculation et les bulles financières. De même, les BI accompagnent l’entrepreneur tout au long de la réalisation de son projet. Ce qui ne l’est pas pour les banques classiques. La crise financière de 2007 déclenchée aux Etats Unis est intervenue à cause de l'octroi massif de prêts immobiliers à des ménages surendettés et insolvables. En principe, la plupart des institutions financières islamiques et des banques conventionnelles offrant des produits Islamiques disposent d'un comité de conformité, appelé communément «Sharia Board».

LA : Beaucoup de marocains ne sont pas familiarisés avec la terminologie des banques islamiques. Comment surmonter cet obstacle ?
M.B. :
 Bien entendu, il existe autant de formules de financement. Mais les instruments financiers les plus utilisés concernent : la Moudaraba, la Moucharaka, la Mourabaha et l’Ijara : La Mudaraba est un partenariat où l’investisseur (Rab Al Mal / Banque) confie des fonds à un entrepreneur (Mudarib) qui apporte à son tour de l’expérience en termes d’expertise et de savoir-faire (industriel, artisanal, etc) tout en assurant la gestion du projet. Cette formule ressemble aux principes de la société en commandite. Les bénéfices réalisés sont partagés entre les deux parties contractantes sur une répartition convenue à l’avance. En cas de pertes éventuelles, elles sont supportées dans leur intégralité par l’investisseur (Rab Al Mal ou l’établissement bancaire). L’entrepreneur, quant à lui, perdra sa rémunération.

La Moucharaka est une forme de partenariat en vertu duquel la banque et le client conviennent de mettre en commun des fonds pour la réalisation d’un projet spécifique. Dans le cas de la Moucharaka, les deux parties participent au financement de l’opération, ce qui n’est pas le cas de la Moudaraba. Les profits et les pertes sont répartis, selon les clauses du contrat, au prorata des contributions respectives en capital c’est-à-dire le montant investi entre les deux parties.

Quand à la Mourabaha, il s’agit d’un contrat de vente aux termes duquel, un client demande à sa banque de lui financer l’achat d’un bien meuble ou immeuble. La banque l’achètera alors à un fournisseur, pour un prix déterminé. Et, le revendra à ce client à un prix majoré. En contrepartie de la mise à disposition du financement, le financier perçoit, moyennant un prix payable à terme (vente à tempérament), un montant comprenant le coût d’acquisition majoré d’une marge. Dès le départ, les modalités de paiement à terme du prix de la revente, sont fixées entre les parties contractantes L’Ijara est un contrat de financement des investissements mobiliers et/ou immobiliers. Une banque achète un bien et le donne en location à un client moyennant le versement d’un loyer.

LA : Comment voyez-vous le futur des banques islamiques à l’international ?
M.B. : 
Le Maroc dispose d’innombrables atouts, entre autres la stabilité, la jouissance d’une confiance internationale et l’ouverture de nouvelles perspectives de développement par la nouvelle constitution de juillet 2011. Ce qui le prédispose à devenir une vraie plate-forme entre le monde-arabo musulman et le reste du monde. Le nombre de banques islamiques a atteint en 2010 uniquement 300 implantées dans plus de 75 pays (90 en 1980). Ce chiffre demeure très insuffisant eu égard à la population musulmane qui s’accroît en permanence (25% de la population mondiale, soit 1,5 milliard). La finance islamique doit se faire connaître à travers une stratégie de communication régulière pour s’ériger en acteur majeur de financement. Il n’empêche que le développement de la finance islamique, tel qu’il existe aujourd’hui, constitue une opportunité unique à saisir, ne serait-ce que, pour apporter des réponses appropriées en matière de disciplines budgétaires, aux crises de la dette et des surprises malheureuses des bourses des valeurs. Comme il a été souligné, précédemment, la crise financière a remis en cause le système de la finance conventionnelle. Ce qui a forcé l’occident à s’intéresser davantage à la finance islamique considérée comme refuge contre toute sorte de turbulences financières.

PROPOS RECUEILLIS PAR SANAE TALEB, CASABLANCA - 12/11

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